Vigne - Une merveille aussi vieille que le monde: Révision

Article rédigé par Dominique Epiney Regolatti pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

SOUVENIR D'ENFANCE

Il était quatre heures du matin à Genève, lorsqu'on me réveilla. J'avais 12 ans. La nuit était douce et je rêvais profondément. Mes parents étaient déjà fin prêts et tout alla très vite. Un brin de toilette, un petit-déjeuner englouti sur le pouce et voilà que nous roulions sur la nouvelle autoroute Genève-Lausanne, en route pour le Valais. Les paysages matinaux des bords du Léman étaient déserts. Après le Château de Chillon, coincé entre lac et montagnes, on traversa Villeneuve au bout du lac. La vue était exceptionnelle, les sommets des Alpes s'étiraient jusqu'aux rivages et s'écartaient ensuite pour laisser libre cours au Rhône qui lui, coulait à sens inverse, du Valais jusqu'à la Méditerranée. Arrivés dans la contrée du soleil, à Sierre, à La Combetta, nous fîmes halte pour attacher les sarments et soigner notre vigne nichée au bord du Petit Lac de Géronde, avant de grimper dans le Val d'Anniviers y passer la nuit et le dimanche, chez nous, à Saint-Jean.

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Petit Lac de Géronde, La Combetta à Sierre

Les Anniviards ont de puissantes racines qui s'agrippent avec acharnement et orgueil à cette terre fertile des Alpes dont les paysages et le climat ensorcèlent. Peu importe les raisons et les distances à parcourir, le mode de vie nomade des Anniviards - entre montagne et plaine - était et est toujours d'actualité.

La Suisse est un pays viticole qui accorde à la vigne et au vin une place essentielle dans la vie culturelle et sociale. Le vignoble valaisan aux sols calcaires, bien aérés se situe entre le Haut-Valais et Martigny. Du côté de Sierre, ville réputée pour son climat méridional, les Anniviards cultivent fièrement et avec amour leurs vignobles comme le plus précieux des joyaux. Les parchets familiaux se gorgent de soleil au creux des collines et complètent avec les vergers, l'agriculture de montagne. Dans le Val d'Anniviers, des bâtisses bien pensées (raccards, caves, greniers) et des méthodes de stockage efficaces (ventilation) assurent tout au long de l'année de la nourriture et le vin pour subvenir aux besoins essentiels des gens durant les rudes mois d'hiver passés dans les villages d'altitude.

Le Vin des Glaciers, breuvage rare et typiquement anniviard, illustre bien la transhumance. Vendangé en plaine mais élevé dans des caves fraîches situées à plus de 1250 m. d'altitude, ce vin est souvent centenaire. Il mûrit dans des fûts de mélèze et ce précieux liquide doit se consommer directement au tonneau, à la cave. Il dégage le goût du bois, de la rèze et son parfum est puissant. Il sent la mousse, la forêt, les fleurs, il fait tourner la tête et rend heureux. Les tonneaux ne sont jamais complètement vidés et sont complétés, ils contiennent toujours un fond de vin de nos ancêtres afin d'assurer l'authenticité. Ancien cépage valaisan autrefois abandonné, la rèze reprend vie grâce aux Bourgeoisies d'Anniviers qui l'ont replantée pour continuer la tradition.

L'ASTUCE - ROSIERS ET VIGNE

On remarque souvent des rosiers plantés le long des parcelles qui tracent les rangs de vignes. Ces rosiers ont une fonction bien précise, ils indiquent au viticulteur l’apparition de l’oïdium, une maladie causée par un champignon destructeur qui attaque les grappes, les rameaux et les feuilles. Comme le rosier est plus sensible que la vigne à l’oïdium, le viticulteur le détectera en premier et pourra ainsi lutter contre la maladie en pulvérisant du soufre sur le feuillage de ses vignes. 

QUIZ

Mais quelle est donc l'origine de la vigne sauvage et du raisin, d'où viennent-ils ? Cette question ne nous titille que rarement l'esprit et la réponse nous est souvent inconnue.

LE TRESOR DE L'AFGHANISTAN

Dans les années 1950, les merveilleux raisins d'Afghanistan, d'une exceptionnelle saveur, faisaient la gloire internationale de ce pays magnifique et accueillant. Forteresse montagneuse comme la Suisse, ses frontières naturelles se dressent en rempart entre l'Asie mineure, l'Iran, la Russie, l'Inde et la Chine. Terre de passage des armées et d'invasions, le brassage des races et d'ethnies très variées lui confère un statut exceptionnel au niveau humain, la population est hospitalière et l'une des plus belles du monde.

Chaque famille possède, de génération en génération, une keshmesh khana, sa maison du raisin. En 1979, avant l'invasion soviétique, ce pays assurait à lui seul 10 % de la production mondiale de raisins secs contre à peine 2-3 % aujourd'hui. Pendant des siècles et des siècles, les raisins et le vin afghan étaient illustres dans le monde entier. Malheureusement, ce coin du monde est depuis la nuit des temps convoité et en guerre du fait de sa situation stratégique sur les Routes de la Soie reliant la Chine à la Méditerranée.

Dans mon Calepin de Routes de 1977, j'avais relevé une bien jolie histoire sur l'origine des raisins qui m'avait profondément marquée lors d'un séjour à Hérat, ville très ancienne, à moitié en ruine mais au passé glorieux. Imaginer trouver des vignobles en Afghanistan relevait de l'utopie et jamais je n'y avais songé ! A l'époque, j'avais quitté Lausanne avec l'Orient Express, train mythique qui effectuait son dernier trajet Paris-Istanbul avant d'être modernisé. Depuis Istanbul, j'avais continué mon périple par les routes poussiéreuses d'Asie à coups de bus brinquebalants et traversé ainsi l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan jusqu'aux contreforts de l'Himalaya en Inde. En route, j'ai découvert que la ville iranienne de Chiraz était le berceau du cépage Syrah. Voici le récit que m'a raconté Abdul, mon ami afghan sur l'origine des raisins.

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Abdul posant fièrement devant sa vigne sauvage en 1977

Au temps jadis, il y avait à Hérat un roi sage et puissant qui s’appelait Chah Chamiran. Il aimait durant les après-midis brûlants, se promener à travers les terrasses ombragées de son jardin, parmi les fleurs rares et les jets d’eau. Un jour, durant l'une de ses balades, Chah Chamiran aperçut un oiseau inconnu de couleur bleue qui semblait sur le point d'être attaqué par un serpent. Le fils aîné du roi banda alors son arc et d’une flèche bien ajustée transperça le serpent. Effrayé, l’oiseau prit son envol et tout le monde l’oublia. Une année après, Chah Chamiran flânait  à nouveau dans son jardin lorsqu'il vit une nouvelle fois un oiseau bleu virevolter au-dessus du jardin royal qui laissa s'échapper de son bec quelques graines, avant de disparaître dans les nuages. Perplexe, le souverain demanda alors à ses gardes de surveiller la croissance de ces graines. Ces dernières se transformèrent en grappes de petits fruits ronds que personne n'osa goûter. Leur suc pouvait être, qui sait, poison mortel. Le roi décida de laisser pourrir ces graines dans des récipients et quelque temps plus tard les semences fermentèrent et se transformèrent en liquide. Sceptique, le souverain fit sortir de prison un condamné à mort et lui demanda d’avaler une coupe de ce breuvage inconnu. La cour entière assistait à cette expérience avec lui. Surprise générale, au lieu d’agoniser, le prisonnier en redemanda en chantonnant joyeusement.

TEL LE SOLEIL, LE VIN ILLUMINE LA VIE

On dit que c'est ainsi que les Afghans découvrirent le raisin et le fantastique pouvoir du vin et, qu'ils propagèrent fièrement la bonne nouvelle aux caravanes des marchands qui sillonnaient leur pays. Au-delà de cette historiette, les premières traces écrites sur les vins afghans se lisent dans un document sanscrit datant du IVème siècle avant notre ère.

Chez nous, en Valais, c'est dans le Registre d'Anniviers (1298-1314), qu'un scribe évoqua pour la première fois, en 1313,  trois types de raisins cultivés dans la région de Granges : la Rèze, l'Humagne et un cépage d'un rouge puissant, le Neyrun, soi-disant venu du hameau de Neyrun dans le Val d’Aoste, d’où vient aussi le cornalin valaisan.

Les historiens et les archéologues affirment que la vigne apparut 6000 ans av. J.-C. en Arménie et du côté de l'Asie Centrale et, qu'elle fut importée en Valais par les Romains. Cependant, bien avant l'Epoque romaine, des pollens de vigne furent découverts et analysés près du Lac de Montorge vers Sion. Les preuves en sont dans les musées qui abondent d'anciens outils viticoles et de divers objets historiques décorés de raisins ou de feuilles de vigne. En Valais, le Musée du Vin a été pensé de manière astucieuse. Il se compose de deux espaces complémentaires, l’un situé dans le village vigneron de Salgesch qui présente le monde viticole de la région alors que l'autre bâtiment se trouve dans l'enceinte du Château de Villa à Sierre et qui propose de la documentation et des expositions temporaires. Afin d'avoir une vision globale des deux sites, il sont reliés par un sentier didactique praticable à l'année qui dévoile les beautés des vignobles au fil des saisons et raconte la vie des vignerons et l'histoire de la vigne.

Photos & texte : Dominique©Epiney Regolatti, novembre 2019

 

SOURCES

  • Vins du Valais. Editions Vie - Art - Cité, 1977.
  • Vignes et Vins de notre pays. Editions Mondo, 1977.
  • L'Encyclopédie mondiale du vin. Tom Stevenson. Flammarion, 1995.
  • Histoire de la Vigne et du Vin en Valais. Musée valaisan de la Vigne et du Vin, Sierre-Salgesch. Infolio, 2010.
  • Le vin de l'Afghanistan et de l'Himalaya occidental. Xavier de Planhol.
  • Revue Géographique de l'Est, 17-1-2  pp. 3-26, 1977.

 

Historique

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