Pierre ollaire: Révision

Pierre ollaire

Dernière mise à jour le par Marie-Claude Stoeri

 Article rédigé par Simone Salamin pour "Les 4 Saisons d'Anniviers" 

 

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Pierre ollaire du Gîte de St-Jean

 

PIERROT MON COPAIN

C’était un petit de par ici qui croyait que son papa avait un bon copain du nom de Pierrot. Alors, très curieux comme beaucoup de bambins, il a voulu en savoir plus et un soir d’hiver, il a pris place sur les genoux de son père, bien décidé à mener l’enquête.

  • Dis papa, tu as beaucoup de copains ?

Bien sûr, quelques-uns a répondu le père.

  • Pourquoi seulement quelques-uns ? Moi j’en ai tout plein

Tu verras, en grandissant tu ne garderas que les meilleurs et tu pourras compter sur eux tout au long de ta vie.

  • Alors ton meilleur copain, c’est Pierrot ?

Pierrot, quel Pierrot ? Je n’en ai pas un qui s’appelle ainsi.

  • Mais oui, tu dis toujours « Pierrot Lair, c’est un très bon copain, toujours fidèle, jamais lassé, il nous réchauffe encore et encore ».

C’est si joli de t’entendre interpréter mes propos ainsi. Quand je parle de notre Pierrot qui nous chauffe si bien, c’est de notre fourneau en pierre ollaire qu’il s’agit. Il est si précieux dans notre maison que je le personnifie sûrement un peu trop. Ecoute bien, je vais t’expliquer.

Dans chaque maison autrefois, la seule source de chaleur se diffusait par le fourneau en pierre ollaire. Evidemment qu’à la cuisine, on préparait les repas sur le potager à bois, il pouvait faire très chaud aussi. Mais pour ressentir une douce chaleur dans la pièce principale, c’était autour du pierre ollaire qu’il fallait se tenir. Tu vois bien que même aujourd’hui on s’y adosse si on a eu froid dehors, on le caresse avec nos mains pour raviver nos articulations, on approche nos pieds au retour de l’école ou du travail. Et si on fait sécher du linge tout à côté,  les bonnes odeurs flottent dans la maison.

  • Mais d’où vient cette pierre ?

Dans le val d’Anniviers, on trouvait des carrières de pierres indigènes, comme à Chandolin. Il semble que les plus anciens fourneaux étaient ronds, puis au fil du temps, ils ont pris une forme carrée. Certains possédaient une petite niche sur le côté appelée « cachette » pour réchauffer des aliments, de la boisson ou cuire des desserts comme les pommes à la confiture. Les fourneaux carrés étaient fabriqués avec la « vraie » pierre ollaire provenant des carrières de Moiry, Viège ou Bagnes. Les pierres frontales sont ornées d’initiales du propriétaire et/ou de motifs divers comme des armoiries. Autrefois, une pierre grossièrement taillée provenant des environs du village servait de base sur laquelle reposaient les deux ou trois étages du fourneau, chacun d’eux un peu plus petit que le précédent. Puis la dalle supérieure d’une pièce coiffait le tout.

  • Est-ce que je pourrai aussi en fabriquer quand je serai grand ?

Oui, bien sûr si tu apprends soigneusement ce métier, car seul un spécialiste construit le fourneau en pierre ollaire. Au début du siècle passé, Louis Salamin de Grimentz a installé plusieurs fourneaux dans la vallée, puis les frères Barmaz de Mission, à la fin de ce même siècle et au début du nôtre, c’est Philippe Salamin de Mayoux qui a été beaucoup sollicité dans ce domaine. Aujourd’hui, Benoit Felley à St-Jean applique le savoir-faire appris avec son grand-père.

Un fourneau en pierre ollaire sert pour des générations. Mais parfois il exige des réparations, par exemple si le liant des pierres se détache et tombe sous l’effet de la chaleur, ou si des pierres se fendent. Il faut alors boucher les fissures et les fentes au mortier d’argile de ciment, de sable et peut-être de gypse. Les plaques du premier étage sont fixées à la base avec des crochets en fer. Il arrive que des pierres soient brûlées à l’intérieur. Pas d’autre solution alors que de démonter le poêle, racler la partie brûlée, retailler les pierres et les réajuster.

Et comme tu vois chez nous, dès qu’il fait froid, on met une bonne flambée le matin, on maintient le feu ce qu’il faut, et quand les pierres sont bien chaudes, on ferme le tirage. Quand on le rallume le soir, toute la maison en profite et le matin on peut encore se frotter contre la douce tiédeur de ces belles pierres, quel bonheur !

  • Depuis quand utilise-t-on la pierre ollaire ?

Au cours des âges, la pierre ollaire a servi à confectionner divers ustensiles, marmites, lampes, fourneaux, œuvres d’art, bénitiers, vases. Les Romains l’utilisaient déjà comme pièces de vaisselle fabriquées au tour. On s’en servait de toutes ces manières,  là où on pouvait accéder facilement aux mines. Dans le val Maggia, à Cevio au Tessin, ainsi qu’à Champsec dans le Val de Bagnes on peut visiter d’intéressants musées relatant l’utilisation de la pierre ollaire dès son origine. Elle est connue depuis deux millénaires et provient de roches métamorphiques plus ou moins vertes constituées principalement de serpentine, elle est tendre, se sculpte et se travaille aisément, résistant à la chaleur et au temps qui passe.

  • Alors si je pars à la recherche de pierre ollaire, je peux voyager loin ?

Très loin, en effet. En Valais on connaît environ 90 gisements ou filons, comme au-dessus d’Evolène ou à Bonatchiesse au-dessus de Fionnay dans le val de Bagnes. Les carrières les plus accessibles ont été rapidement épuisées, celles qui restent sont difficiles d’accès et on peut imaginer les énormes efforts rendus nécessaires pour exploiter ces gisements, avant l’arrivée de l’hélicoptère… Des œuvres d’art, des outils et ustensiles familiers, en plus des fourneaux sont connus chez nous en Valais, au Tessin, dans les Grisons, et aussi en Italie du nord, dans le Queyras en France,  au Brésil, en Afrique, au Tibet et même chez les Inuits. En Scandinavie et aux USA on redécouvre les propriétés de la pierre ollaire grâce à la prise de conscience des problèmes d’énergie. Un filon de chez nous peut t’amener très loin, tu vois.

  • Mais papa, dans le futur est-ce qu’on pourra allumer le pierre ollaire à distance ?

Là tu me poses une colle… mais j’espère que non. Quoi de plus sympathique que de prendre une brassée de bois sur le bûcher, de l'installer dans le foyer sans trop le charger, de faire prendre le feu tout doucement. Ecouter les craquements et attendre que la chaleur s’amplifie, ajoutant un bois puis un autre selon les besoins. De plus, ces fourneaux sont maniables, ils peuvent être démolis pièce par pièce et reconstruits ailleurs, on y sculpte peut-être une autre date ou une autre décoration. Au cours du vingtième siècle, quand une partie des habitants de nos villages ont quitté la vallée, nombre de pierres ollaires de notre patrimoine alpin ont disparu. Heureusement, ils ont été revalorisés ces dernières décennies et sont particulièrement recherchés aujourd’hui. Ils représentent un formidable complément aux chauffages modernes commandés à distance, tu ne trouves pas ?

  • Moi, je voudrais bien aller couper du bois avec toi

Bien sûr, dès l’automne prochain tu m’accompagneras. On demandera la permission au garde-forestier et on choisira un peu de sapin, du beau mélèze et puis on achètera aussi du feuillu car c’est ce bois-là qui chauffe le mieux en encrassant le moins la cheminée. Et si on s’y prend bien, on peut même réactiver le feu sur les braises rougeoyantes du soir.

C’est vrai, je me suis pris d’affection pour cette noble et tendre matière, voilà pourquoi,  je parle de notre fourneau comme si c’était une personne, Pierrot mon copain, il contribue si précieusement à notre bien-être.  

Simone Salamin

Merci à M. Wenner

Références :

  • La pierre ollaire, Tradition et renouveau de Pierre Delacrétaz, éd. Monographic Sierre
  • Le Val d’Anniviers, Willy Gyr, coll. Romanica Helvetica, remanié et édité par Rose-Claire Schüle, Francke Verlag Basel und Tübingen

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