Métier de tavillonneur - Témoignage de Rémy Epiney

Article rédigé par Pauline Archambault pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

 

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Rémy Epiney en train de refaire un toit en bardeaux

 

Le métier de tavillonneur - Témoignage de Rémy Epiney

En arrivant dans le val d’Anniviers, le voyageur est souvent surpris par ces drôles de tuiles en bois qui recouvrent les toits, quelquefois neuves, droites et couleur saumon, d’autres fois grisâtres, vieilles et effilochées : les bardeaux. Dans les autres vallées latérales, les anciens toits sont souvent en pierre. En plaine, on trouve plutôt des tuiles en terre cuite, en eternit, en ardoise ou en tôle. Le bardeau est rare et donne une poésie particulière aux villages de la vallée. L’utilisation des bardeaux est très ancienne. Les humains habitèrent tout d’abord des cavernes, puis construisirent des huttes recouvertes de branches. Rapidement, dès le néolithique, des éléments en bois remplacèrent les branchages : la tuile en bois était née. Le plus ancien bardeau a été découvert à Auvernier, dans le canton de Neuchâtel : partiellement carbonisé, il a été fabriqué au IXème siècle avant Jésus-Christ, il y a 2800 ans ! Au  Moyen-Âge, les tuiles en bois étaient très répandues dans toute l’Europe : le toit du château de Chillon en  était recouvert jusqu’en 1301. A l’époque, lorsqu’elles n’étaient pas fabriquées en chaume, les toitures étaient couvertes de bardeaux en mélèze, en chêne, en cèdre, en châtaignier ou en épicéa. Les tuiles en bois furent progressivement remplacées par des tuiles en terre cuite, car les incendies ravageaient des villages entiers. Dès le XVIIème siècle, on ne trouvait plus beaucoup de toitures en bardeaux en plaine. En montagne, les bardeaux continuèrent à être largement utilisés jusqu’au XIXème siècle, car le bois était facile à trouver sur place et les transports de tuiles depuis la plaine compliqués.

Le tavillonnage est à la fois un art et un patrimoine culturel précieux : c’est une tradition intemporelle, un savoir-faire ancestral, des gestes immémoriaux transmis uniquement oralement et par la pratique. Il y a trente ans, ce métier était menacé de disparition par manque d’artisan et de demande. Aujourd’hui, les bardeaux reviennent à la mode. On les trouve authentiques, jolis, naturels et typiques ; ils incarnent la préservation du patrimoine et le  développement local durable. Quoi de plus beau qu’une toiture fabriquée avec les mélèzes des alentours ? Une toiture qui, une fois effondrée, se transformera en humus et rendra à la forêt ce qu’elle lui a pris. En plus, le bardeau a une longévité supérieure à celle de la tuile. Il offre l’avantage d’être léger, ce qui permet de construire des charpentes moins massives. Il nécessite peu d’entretien, son grisage étant le fait de sels minéraux qui remontent à la surface du bois et forment une couche protectrice naturelle. C’est enfin un isolant thermique plus efficace que la tuile, l’ardoise ou l’eternit.

Alors, ce merveilleux savoir-faire est-il menacé par l’oubli ? Rémy Epiney, tavillonneur d’Ayer à la retraite, a eu la gentillesse de bien vouloir nous raconter les secrets de son métier :

 

Comment as-tu appris le métier de tavillonneur ?

J’ai commencé à découvrir ce métier à l’âge de deux ans et demi. Mon papa, Bernard, travaillait à l’ancienne scierie d’Ayer et je lui apportais les 9 heures et les 16 heures. Pour y aller, je prenais un petit chemin. A l’époque, il y avait une voiture par heure qui passait. J’avais un petit bidon à étages : dessous, le café, et en haut, le pain et le fromage. J’ai appris le métier avec les yeux, en regardant comment les autres faisaient. J’en ai vu passer du bois ! Je regardais, je posais des questions, j’essayais. J’étais passionné par le travail du bois, la scierie, le bûcheronnage. J’ai appris de mon père, et j’ai transmis ce que je savais à mon frère Nicolas et à Vincent. Ce que j’aimais le plus dans ce métier, c’était le bon bois. Ce que j’aimais le moins, c’était les mauvais bardeaux. Et je détestais poser des bardeaux sous la neige : tu deviens mouillé et tu n’as plus de sensibilité dans les doigts. On essayait d’éviter ça, mais quelquefois on se faisait surprendre par la neige. Et comme, sur les chantiers, le tavillonneur vient après les autres corps de métier, on travaillait souvent tard en automne.

Quand j’étais jeune, il y avait quatre tavillonneurs rien que dans le village d’Ayer. D’autres gens faisaient aussi des bardeaux, mais plutôt pour eux-mêmes que comme métier.

A mon avis, le travail des bardeaux va se maintenir, parce que les communes veulent conserver les vieux villages. On doit mettre des bardeaux sur les toits, et en contrepartie la commune donne des subsides. La manière de fabriquer les bardeaux a évolué par rapport à la tradition, mais seulement un petit peu : aujourd’hui, il y a des fendeuses, des clouteuses et des rabots. Si un jeune veut apprendre le métier, je lui conseillerais d’étudier le bois pour le connaître, pour apprendre à voir s’il fend ou ne fend pas, et pour savoir d’où il  vient. Je lui dirais aussi de trouver des marchands qui lui laissent essayer le bois. C’est très important de pouvoir choisir du bon bois. Quelquefois, les forestiers nous laissaient l’essayer : on sortait 50 centimètres et on regardait comment il fendait, s’il avait des veines régulières, bien droites, sans nœud.

Trouver le bon bois pour fabriquer des bardeaux, c’est la chose la plus difficile. Il faut un bois qui a poussé lentement, donc avec le moins possible de lumière, et qui a mûri au cœur des forêts. Pourquoi au cœur des forêts ? Parce que là les arbres ne sont pas tourmentés par les vents. En plus, au cœur des forêts, les arbres sont très serrés et ils s’élancent pour chercher de la lumière : ils sont plus droits, ils ont moins de branches, donc moins de nœuds, c’est du meilleur bois pour les bardeaux.

Dans l’ancien temps, autour des mayens, les gens avaient des forêts. On appelait ça des devins. Ils allaient couper le bois dans ces devins pour faire du bois de feu et s’ils trouvaient un beau mélèze, ils faisaient des bardeaux. Tout le monde savait travailler le bois et faire des bardeaux, en plus des vaches et de la campagne. Avant, chaque famille avait une petite réserve de bardeaux. Avant de rentrer les foins dans un mayen, ils allaient contrôler tous les trous du toit. L’un d’entre eux se posait dans la grange et regardait s’il voyait le jour depuis dessous, et si oui, il glissait un bardeau en plus pour combler le trou. Sur les vieux toits, on finissait quelquefois avec une couche de vingt centimètres de bardeaux au sommet, à force d’en ajouter là où ça manquait. J’ai démonté des toits où il n’y avait pas un clou : tout était tenu par des chevilles ! Sur les deux chevrons qui montaient, ils faisaient un mi-bois, perçaient à travers et mettaient une cheville, et en bas pareil. Les bardeaux n’étaient pas cloués : ils posaient des pierres dessus, beaucoup de pierres, surtout sur le faîte au sommet du toit. Quand ils devaient refaire tout le toit, la bourgeoisie, qui a beaucoup de forêts, leur donnait du mélèze destiné uniquement aux bardeaux. Il y avait aussi des lots de bois qui étaient mis aux enchères pendant la journée des rogations.

Les Anniviards avaient tous beaucoup de travail jusqu’au mois de novembre, alors c’est en général ce mois-là qu’ils coupaient le bois pour les bardeaux. La raison principale pour choisir cette période de l’année, c’est qu’à ce moment-là la sève était descendue. Ils coupaient les arbres, ils les préparaient, ils les sciaient en billes de quatre ou cinq mètres et aux premières neiges, ils les descendaient, car les bois glissaient beaucoup mieux sur la neige. S’ils étaient près d’une route, ils les montaient avec le mulet. S’ils en étaient loin, ils les tiraient par en bas le long d’un couloir, puis, quand ils étaient au fond du couloir, ils les ramenaient au village avec le mulet.

Ils regardaient aussi la lune. Il faut couper l’arbre au bas de lune, quand elle descend. Si on le  coupe en plein clair de lune, le bois sèche plus vite. Mais trop vite, ce n’est pas bon! C’est pour cela qu’ils le faisaient à la lune descendante. Jusqu’au premier quartier, ça allait bien.

Il faut plutôt un bois d’altitude. De 1200 à 2000 mètres, c’est très bien. Plus l’arbre est en altitude, plus il grandit lentement, et donc meilleur il est. Le bois de la plaine ne va pas, car il pousse trop vite, les veines sont trop grandes et ça risque plus d’éclater. Plus le bois est fin, mieux c’est. Plus il est dans une forêt, mieux c’est. Et plus il a poussé lentement, mieux c’est.

 

Quels sont les secrets pour fabriquer un bon bardeau ?

Il vaut mieux fendre le bardeau que le scier. Quand on fend le bardeau, ça fait des petites veines, et l’eau suit ces veines, alors le toit est plus étanche. Mais le bardeau scié ou raboté est lisse et l’eau coule n’importe où dans tous les sens. Un autre avantage du bardeau fendu, c’est qu’il risque beaucoup moins de casser ensuite, car il est resté dans son état naturel. Ensuite, il faut juste donner des petits coups de hache dans les bords pour l’égaliser. Il doit faire entre douze et quinze millimètres d’épaisseur. On peut aussi améliorer de cette façon un bardeau un peu bancal ou vissé. Mais seulement sur les coins, on ne doit pas toucher le milieu, sinon il devient lisse.

On n’utilise pas le bois du mélèze en entier: on enlève le blanc, c’est-à-dire l’aubier sous l’écorce, et on garde le rouge, l’intérieur. On peut aussi laisser l’aubier, mais il doit être posé dessous, recouvert par un autre bardeau sans aubier. Après vingt ans, si l’aubier est à la pluie, il pourrit. C’est aussi pour cela qu’on choisit les arbres qui sont au fond des forêts : ils reçoivent moins de lumière, poussent moins vite et ont beaucoup moins d’aubier. Les mélèzes qui grandissent au bord des forêts ou dans les prés ont beaucoup plus de blanc, et il y a donc beaucoup plus de bois perdu quand on fait les bardeaux. Avec du bon bois, il y a très peu de pertes. Avec du mauvais bois, il y a non seulement beaucoup de pertes, mais aussi beaucoup plus de travail à la hache et beaucoup de temps perdu. Le plus difficile dans ce métier, c’est de trouver du bon bois. Du tout bon bois, c’est très rare.

 

Pour poser les bardeaux, on utilise des clous et un marteau, de préférence pas une clouteuse. Lorsqu’un bardeau est voilé, il a plus de chance de casser si on le pose à la clouteuse, car c’est moins doux. Quelquefois, on mouillait les bardeaux au jet avant de les poser. On faisait les bardeaux en hiver, donc les premiers qu’on posait au printemps n’étaient pas vraiment secs. Mais c’est fin et ça sèche vite. Si les bardeaux sont verts, ils cassent moins. Le clou entre plus facilement, mais l’inconvénient est qu’il peut aussi ressortir plus facilement. Pour entreposer les bardeaux et les faire sécher, on faisait des piles assez hautes en croisant les bardeaux, deux couches dans un sens puis une couche en travers, comme ça ceux qui étaient un peu voilés s’aplatissaient. Sur les toits on prenait deux sortes de clous : des normaux et des galvanisés. Le clou galvanisé ne rouille pas, il ne laisse pas de trace sur le toit, il ne coule pas et ne tache pas. Il est aussi plus résistant, moins lisse, il tient mieux, mais il est vraiment plus cher, alors on n’utilisait les galvanisés que pour les clous visibles.

 

D’après toi, pourquoi les habitants du val d’Anniviers ont à l’origine décidé de couvrir leurs toits de bardeaux alors que ceux des vallées voisines ont préféré les lauzes, la pierre ?

Les bardeaux sont beaucoup plus légers que la pierre, ça veut dire qu’il y a moins à renforcer les charpentes. Et les bardeaux, on peut toujours les arranger en ajoutant çà et là quelques bardeaux dans les fentes, sans changer toute la toiture. En plus, le bardeau est un isolant, tandis que la pierre est froide. Les anciennes toitures en pierre, sans sous-couverture posaient plus de problèmes, car la chaleur montait, ça gelait, de la glace se formait sur la pierre, puis l’eau était refoulée et coulait dans la maison. Le bardeau, lui, ne gèle pas. En plus, avant, ils n’avaient pas d’argent et ils avaient la matière première pour les bardeaux alors qu’ils n’avaient pas de pierres.

Un toit en bardeaux dure entre quarante et cinquante ans. Les bardeaux ne pourrissent pas, mais ils peuvent fendre et alors l’eau passe. Aujourd’hui on a des sous-toitures, mais avant il n’y avait rien. Si le bardeau fendait, l’eau pouvait couler à l’intérieur.

 

Est-ce que ce n’est pas dangereux de travailler sur les toits ?

Un jour, alors qu’on posait des bardeaux sur un toit, on a tout à coup entendu un bruit : qu’est-ce qui s’était passé ? Puis un autre bruit… C’était l’un d’entre nous qui était tombé sur le premier puis sur le deuxième toit : il a fait des mois d’hôpital. Un quart d’heure après : les policiers ! Ils sont arrivés en même temps que les médecins, on avait appelé le 144. Ils sont venus vérifier la sécurité du chantier, mais c’était en ordre. Il faut toujours assurer la sécurité. Imagine qu’un ouvrier tombe et qu’il reste en chaise toute sa vie. On travaille mieux quand on se sent en sécurité. Avant, quand il n’y avait pas de protection et qu’on devait poser les premières rangées de bardeau, on voyait le vide.  Et il peut aussi arriver qu’on marche sur un bardeau pas cloué sans s’en apercevoir et qu’on glisse.

 

On parle parfois de tavillons, parfois de bardeaux… quelle est la différence ? Lesquels trouve-t-on en Anniviers ?

En Anniviers, il n’y a pas de tavillons en façade, ils sont sur les toits, comme les bardeaux. Par exemple, mon toit est en tavillons, et aussi le petit clocher et l’entrée de l’église d’Ayer. Les tavillons sont plus fins, plus solides et plus lisses que les bardeaux : c’est deux fois plus de travail, il faut avoir du bois tip top, la crème du bois, mais ça dure plus longtemps, et pourtant ils sont beaucoup plus fins. Ils sont aussi plus petits : ils font quarante centimètres de long, et les bardeaux cinquante centimètres. On ne pose pas les tavillons de la même manière que les bardeaux. Quand on fait des tavillons, on fend le quartier, on attache ensemble les tavillons au fur et à mesure, et après, quand ils vont sur le toit, on les pose quartier par quartier, dans l’ordre où ils ont été fendus. On les dispose en les superposant latéralement et en avançant de douze centimètres seulement. Il est très difficile de trouver du bois assez bon pour les tavillons et c’est deux fois plus de travail. On l’emploie spécialement pour faire des petites surfaces de cinq ou six mètres carrés, comme par exemple l’entrée d’une église ou des clochetons.

Pourquoi t’appelle-t-on le Siffleur ?

Un jour, je suis allé chercher un blessé en hiver, je l’ai attaché sur une luge avec une corde et j’ai eu froid aux doigts, alors j’ai soufflé sur mes mains à cause de l’onglée…. Les autres ont cru que je sifflais, et ils m’ont appelé le Siffleur.

J’étais un peu dans la lune, je sifflais souvent… si tu as besoin d’un rêveur, je suis là !

A rèvèrre et Bòng-na zòr (au revoir et bonne journée) !

par Pauline Archambault

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