Mines d'Anniviers - Enfer et merveilles

Mines d'Anniviers - Enfer et merveilles

Dernière mise à jour le par Adriana Tenda Claude

Article rédigé par Pauline Archambault pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

 

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Mine de Plantorin - Crystal et ruines du bâtiment  

 

Enfer et merveilles des mines en Anniviers

Le val d’Anniviers attire l’œil du visiteur par les merveilles qui sont à la surface du sol : fleurs, torrents, forêts, cimes et animaux rivalisent de beauté. Mais l’exploration du monde souterrain de la vallée révèle d’autres trésors : une incroyable variété de minéraux aux couleurs et aux formes fantastiques. Le district minier du val d’Anniviers et de la vallée de Tourtemagne a une histoire géologique complexe et recèle plus de 333 espèces minérales : c’est la moitié des minéraux présents en Suisse ! Lorsqu’on quitte les sentiers, il n’est pas rare de tomber par hasard sur une entrée souterraine, sombre, humide et mystérieuse, attirante et effrayante à la fois. Celui qui se laissera tenter y trouvera souvent d’incroyables minéraux. Beaucoup d’anciennes mines se cachent ainsi entre sommets et vallons, mais elles sont souvent effondrées ou dangereuses d’accès. Les poutres de soutènement sont vermoulues ou brisées, des gaz empoisonnés flottent dans les profondeurs des mines et les galeries sont parfois boueuses, glissantes et inondées.

Plus de vingt mines se trouvent dans le val d’Anniviers, de la plaine du Rhône jusqu’au sommet de l’Omen Rosso au-dessus d’Ayer. A 3031 mètres d’altitude, après une rude ascension au milieu d’un chaos de rocs, on y découvre la plus haute mine de Suisse, celle de Plantorin. L’entrée d’une galerie effondrée se cache dans les replis de la crête, flanquée d’un reste d’abri, un minuscule refuge construit en pierres sèches et adossé au rocher. Une mystérieuse pierre à cupules s’incline non loin. Côté Anniviers, une terrasse subsiste, qui accueillait l’exploitation à ciel ouvert, tandis qu’à 250 mètres de là, un replat herbeux abrite encore les ruines d’une baraque qui devait servir de logement aux mineurs. « Omen Rosso » signifie « Homme rouge ». Le nom de ce sommet désigne probablement à l’origine un bloc de roche rougeâtre qui a aujourd’hui disparu : c’était le gisement qui affleurait à cet endroit-là. Cette particularité d’un filon émergeant du sous-sol à l’air libre est rare dans les Alpes, car l’érosion glaciaire fait généralement tout disparaître. Longtemps, seuls des chasseurs de chamois ou quelques bergers avec leurs chèvres fréquentaient cette longue crête dénudée qui sépare le val d’Anniviers de la vallée de Tourtemagne. Comment le filon de cobalt a-t-il été découvert dans cet endroit inaccessible et désolé ? Dans son ouvrage « mines et minéraux du Valais », Stefan Ansermet indique qu’il « est probable que des prospecteurs ont été très tôt attirés par la couleur brunâtre de l’affleurement, ou que des bergers ont ramassé quelques cailloux qui laissaient voir sur leur cassure un éclat métallique doré ». L’Homme rouge, c’est-à-dire la couleur de la roche à l’endroit où le filon affleurait à la surface, attire ainsi les prospecteurs : en 1810, les Valaisans M. Tabin et J. Wuarnier annoncent qu’ils ont découvert une mine de cobalt à cet endroit. En 1841, cinq tonnes de minerai sont extraites, avec les difficultés qu’on peut imaginer dans un endroit si haut et si loin de toute piste, puis la concession de la mine change quatre fois de propriétaire. La mine de Plantorin est un touchant témoignage de l’incroyable acharnement des mineurs à braver le froid et la pente pour extraire un peu des richesses de la terre. Il est difficile de trouver des informations précises sur les conditions de vie des mineurs de Plantorin, mais on peut imaginer la dureté de leur existence en comparant avec la mine de Kaltenberg, située à deux kilomètres de là sur la même crête, le Minugrat ou Crête des Mines. Dans le rapport de Lecomte-Denis datant de 1901, le Dr Schacht raconte qu’à la mine de Kaltenberg « il faut construire des baraquements pour les ouvriers, et les munir de tout ce qu’il faut pour passer l’hiver, notamment de vivres pour six mois, car les communications avec le reste du monde sont extrêmement difficiles et dangereuses. En tous les cas, il ne faut songer à aucun transport, et le ravitaillement est matériellement impossible. » Les mineurs travaillent donc toute l’année, bloqués en altitude durant les mois d’hiver par les avalanches et l’absence de route, confinés à quelques-uns dans le froid et l’isolement monotone, sans possibilité de communiquer avec le monde d’en-bas.

La Révolution industrielle a bien eu lieu ici aussi, au beau milieu des Alpes, loin des cités et des usines. Derrière la féerie des minéraux se cachent une grande souffrance et une réalité sociale qu’on peine aujourd’hui à imaginer. Les mines commencent à être exploitées dès le XVIIIème siècle. Ce sont d’abord des étrangers qui s’intéressent à la recherche et à l’exploitation des gisements en Anniviers : en 1730, deux Anglais obtiennent de l'Etat une concession leur permettant de "creuser et découvrir toutes sortes de mines", mais les communes concernées s’opposent rapidement à cet accord, ce qui pousse les prospecteurs à abandonner et à quitter le Valais. Les demandes de concessions sont de plus en plus nombreuses, le plus souvent par des investisseurs français ou anglais. En 1831 commence une sorte de ruée vers l’or qui va durer onze ans: la Révolution industrielle réclame son lot de matières premières et les nombreux minerais du val d’Anniviers gorgent d’espoir le cœur des prospecteurs : cuivre, argent, bismuth, cobalt, nickel, zinc, plomb, amiante, talc, pierre ollaire… En 1849, la Société d’Anniviers est fondée ; elle achète des concessions et construit une fonderie à Chippis. Les débuts sont un succès et la mine de cobalt de Grand Praz génère un bénéfice de douze millions de francs actuels en moins de dix ans. L’exploitation minière en Anniviers ressemble ensuite à des montagnes russes : les échecs succèdent aux espoirs et les faillites aux investissements enthousiastes. Beaucoup de gisements sont pauvres, le rendement est souvent décevant et les prospecteurs finissent par se concentrer sur la mine de cuivre de la Lée à Zinal et celle de Baicolliou à Grimentz. Certaines sociétés minières cherchent même davantage à vendre des actions à des investisseurs crédules, aveuglés par leur fièvre spéculative, plutôt qu’à exploiter de manière rentable les filons. Les mines sont ensuite abandonnées durant la première guerre mondiale. Puis le travail reprend pendant la deuxième guerre mondiale, car la pénurie de matières premières est telle qu’on s’intéresse à nouveau aux gisements d’Anniviers.                                            

Le travail des mineurs était dur et dangereux. Avalés par les entrailles de la terre, ils  travaillaient été comme hiver 10 heures par jour, habitant des baraquements accrochés au flanc de la montagne, quelquefois sans eau courante, dormant dans des dortoirs où l’équipe de jour et l’équipe de nuit devaient partager à tour de rôle le même lit, ne redescendant que le samedi soir pour remonter tôt le lundi matin. Dans les galeries étroites et mal éclairées, parfois pas plus larges qu’un mètre, les mineurs devaient travailler couchés ou accroupis, dans un air irrespirable chargé de poussière de roche, sans ventilation. Le travail de forage à sec ne permettait pas à la poussière de retomber. Travaillant sans protection ni masques, beaucoup attrapèrent la silicose. Cette maladie pulmonaire incurable, surnommée le « mal des mineurs », est provoquée par l’inhalation de petites particules de poussière de silice. Sournoise, elle ne se manifeste souvent qu’après dix à trente ans d’exposition et provoque une dégradation progressive et irréversible des capacités respiratoires. Selon la Suva, «la silicose fut la pire maladie professionnelle du siècle passé. En l'espace de cinq décennies, près de 11 000 travailleurs développèrent des séquelles tardives de la poussière de quartz qu'ils avaient inhalée dans les fonderies, dans l'industrie sidérurgique, dans les mines ou lors de la construction de tunnels et de barrages. Plus de 3000 moururent, des milliers d'autres furent atteints de graves lésions pulmonaires. »

La mine de La Lée est la seule mine de cuivre de Suisse ouverte au public. En la découvrant, le visiteur oscille entre émerveillement et effroi. Sur les parois des galeries, la chalcopyrite brille et fascine par ses différentes couleurs. Un tunnel débouche sur une ouverture dans la falaise, de laquelle on peut voir le fond de vallée comme vu d’avion, avec la cascade qui dévale la roche juste à côté. Mais la plongée dans les galeries sombres et humides ainsi que le récit des souffrances endurées par les mineurs nous entraînent dans un autre monde, celui de la dureté épouvantable de l’industrie minière du début du XXème siècle.

par Pauline Archambault

 

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