Société du Village en Anniviers - 1e partie: Révision

Société du Village en Anniviers - 1e partie

Dernière mise à jour le par Adriana Tenda Claude

Article rédigé par Janine Barmaz pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

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Statuts de la Société du Village de Mission

À l’exception de deux ou trois petits hameaux, chaque localité du Val d’Anniviers connaît ce que l’on appelle la Société du Village ou, plus simplement, le Village. Cette institution, qui remonte dans certains cas à des temps immémoriaux, a longtemps été un élément essentiel du fonctionnement de la collectivité locale. Au fil des décennies, parallèlement au changement de mode de vie des Anniviards, elle a perdu de son importance, mais s’est retrouvée sur le devant de la scène au moment de la fusion des communes. En effet, certains grands villages de la vallée, qui n’avaient jamais eu de Société du Village auparavant, ont décidé d’en créer une afin de contrebalancer, d’une certaine manière, le pouvoir de la nouvelle grande commune.

Les lignes qui suivent esquissent le portrait de la Société du Village des origines, en en dégageant les traits essentiels. La référence pour ce faire est la présentation détaillée que Bernard Crettaz en donne dans son ouvrage intitulé Un village suisse. Grimentz, p. 38-97. Les autres renseignements proviennent du témoignage de Michel-André Salamin, grand connaisseur de l’historique de celle de Mission, et de documents anciens concernant cette même Société.

Des siècles durant, Anniviers a été peuplée par une société paysanne dont les besoins étaient simples : se nourrir, s’habiller, se loger, trouver du sens à la vie. Pour parvenir à satisfaire ces besoins, les gens ont vite compris que c’est ensemble qu’il fallait agir. Ils ont donc mis sur pied un certain nombre d’institutions, qui recouvraient les différents aspects de la vie quotidienne : communauté villageoise, paroisse, consortages d’alpage, de bisse…

À cette époque, deux institutions sortent du lot par leur importance : la Bourgeoisie et la Société du Village. La Bourgeoisie, issue du monde féodal, est devenue la détentrice du pouvoir politique, en plus d’un certain pouvoir économique. La Société du Village naît à ses côtés pour que les habitants non-bourgeois d’un lieu accèdent à des droits eux aussi.

Modèle d’antan

Le type ancien de Société du Village s’est généralement constitué au cours du XIXème siècle, mais il n’est pas datable avec précision, sans doute parce que longtemps ces sociétés ont fonctionné sans statuts écrits. Les règles se transmettaient oralement entre gens qui se connaissaient tous. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que le Village de Grimentz décida d’écrire des statuts basés sur les usages. De son côté, la Société de Mission se dote en 1925 de statuts écrits, qu’elle désire faire homologuer par le Conseil d’Etat valaisan, ce qu’il ne fait pas, se déclarant incompétent en la matière. Dans l’article premier, il est bien stipulé que la Société est reconstituée en 1925. Les statuts de cette première version conservée sont au nombre de quatorze. Ils exposent l’organisation générale de la société, les attributions du comité, les obligations des membres, les amendes en cas de non-respect des règles. Tout ce qui n’est pas prévu dans le règlement, sera décidé par l’assemblée générale.

C’est en parcourant le livre des protocoles des séances et des comptes que l’on a une vision plus précise des fonctions très diverses de la Société. Parmi ces fonctions, retenons les plus importantes, celles concernant la gestion du four banal et de la boucherie, la garde commune des bêtes pendant la saison estivale, l’élevage du bouc reproducteur, la gestion de certains aspects de la vie religieuse et l’école.

Le Village est propriétaire de différents bâtiments. Il possède aussi des fonds destinés à l’école, d’autres destinés à la chapelle, ainsi que de l’argent qu’il peut prêter, servant parfois de banque à des Villageois.

Organisation, attributions, obligations

La Société du Village est dirigée par un comité de deux personnes qui prennent le nom de « chefs ». À Mission, un secrétaire complète le comité. Les décisions importantes se prennent dans le cadre de l’assemblée du Village. Cette assemblée est composée d’un membre par foyer, un homme majeur, le père de famille, aussi longtemps qu’il est en vie. Une autre condition requise est la qualité d’être bourgeois d’une des bourgeoisies de la paroisse de Vissoie, pour Grimentz, d’une des bourgeoisies de la vallée, pour Mission, et de posséder un bien dans le village. Il est nécessaire de faire reconnaître son droit, car cela ne se fait pas de manière automatique. Il faut se présenter à l’assemblée et être agréé par la majorité des membres présents. Cette démarche s’appelle l’entrage. À Mission, il faut payer la cotisation annuelle fixée, qui, en 1926, est de Frs 7.- et offrir un quarteron de vin, l’équivalent de trois litres.

En plus du comité, l’assemblée générale désigne aussi des procureurs pour s’occuper de tâches déterminées. À Grimentz, il y a quatre types de procure, la plus importante étant la procure du Village, qui est assumée par les nouveaux Villageois. (À relever qu’à Pinsec ce principe est encore d’actualité). Il est impossible de refuser une procure sous peine d’amende. De même, des amendes sont données aux membres qui sont absents de l’assemblée annuelle ou qui n’accomplissent pas les journées de corvée prévues.

Fonctions principales

Deux lieux indispensables à la nourriture d’une communauté qui doit s’autosuffire sont gérés par la Société du village, à qui ils appartiennent : le four banal, pour cuire le pain, et l’abattoir ou boucherie, comme on dit ici, pour la viande.

Pendant l’été, les vaches sont à l’alpage. Les paysans doivent faire les foins et ont une dure besogne. Mais la plupart des familles garde une vache au village pour avoir du lait. Il y a aussi les chèvres dont il faut s’occuper. Ces dernières sont mises en commun et, habituellement, un chevrier les emmène paître chaque matin et les ramène le soir. Pour les vaches, elles sont généralement gardées à tour de rôle par les différents propriétaires. À Grimentz, les mulets sont aussi gardés de cette manière.

La nécessité d’avoir des reproducteurs pour avoir des animaux fait que la Société du Village prévoit qu’un bouc soit mis à disposition par un procureur.

Religieux et profane entremêlés

La société du début du XXème siècle est très chrétienne. Chaque protocole d’assemblée du Village montre la forte imbrication de la religion dans la vie courante. À Grimentz, le Village doit fournir le bois pour chauffer le prêtre-recteur et assurer le remuage de ce dernier quand l’ensemble de la population descend à Sierre. Les comptes de Mission indiquent des dépenses annuelles pour défrayer le marguiller, pour des messes fondées, pour l’entretien du linge de la chapelle, etc. De plus, le premier grand projet de la Société reconstituée est la construction de la chapelle, qui sera terminée en 1930.

Mort du Village

À Grimentz, la Société du village a cessé d’exister en 1960. Le monde avait suffisamment changé pour que nombre des fonctions qu’elle remplissait n’existât plus. À Mission, elle a continué à exister, en se modifiant progressivement pour mieux correspondre à l’évolution.

Voilà à quoi ressemblait une Société du Village au début du siècle dernier.

Dans le prochain numéro des 4 Saisons, un article poursuivra l’étude de ce thème en se penchant sur les Sociétés du village à l’époque contemporaine.

Janine Barmaz

 

Suite

La Société du Village au XXIème siècle

Article rédigé par Janine Barmaz pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

En octobre 2020, ce magazine consacrait un article aux origines des Sociétés du Village en Anniviers (n° 40, p. 8-9), qui présentait leur naissance et leur fonctionnement en s’appuyant sur les exemples de Mission et de Grimentz.

Ce texte en est la suite ; il s’applique à décrire ces sociétés telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui et s’attache à en souligner certains traits.

En Anniviers, les Sociétés du Village ont été constituées à trois périodes différentes : les plus anciennes dans le courant du XIXème siècle, quelques-unes dans la deuxième partie du XXème siècle et les dernières au moment de la fusion des communes, en 2008-2009. Leurs créations, étalées dans le temps, n’ont pas les mêmes causes, elles ne répondent pas aux mêmes besoins. Néanmoins elles visent un même but premier, celui de défendre les intérêts du village. Cela explique pourquoi plusieurs de ces sociétés ont traversé les siècles et perduré jusqu’à maintenant : il fallait s’organiser pour avoir son mot à dire dans sa propre commune. Cette motivation permet de saisir les raisons pour lesquelles Grimentz a pu aisément renoncer à sa Société du Village dans les années 1950-60 : village et commune se confondaient. Une fois que les municipalités avaient été clairement établies dans leurs fonctions, il n’y avait plus de raison d’avoir deux entités. Mission, au contraire, voulait continuer à se faire entendre au sein de la commune d’Ayer, parmi les diverses localités.

C’est cette même motivation qui a présidé à la constitution des Sociétés du Village les plus récentes. La naissance de la commune d’Anniviers a poussé des villages qui n’avaient pas ou plus de Société du Village à s’en doter. Pour ne pas se fondre dans la masse, Vissoie, St-Luc, Chandolin et Grimentz ont alors suivi l’exemple de leurs voisins. Ils ont fondé leur propre Société du Village en s’inspirant des modèles existants. L’idée que le chef du Village puisse être le représentant privilégié de ce dernier auprès des autorités politiques a contribué à la conviction que constituer une Société du Village était utile, voire nécessaire.

Dans la réalité, il ne semble pas que les chefs du Village aient endossé ce rôle. Cependant les Sociétés plus anciennes, qui avaient déjà l’habitude d’interagir avec leur conseil communal, ont maintenu le contact. Certaines invitent un membre du conseil à participer à leur assemblée générale et profitent de sa présence pour transmettre leurs demandes ou doléances.

Evolution dans l’organisation

Au cours du XXème siècle, la société anniviarde a connu de grandes mutations. Son système économique a changé fondamentalement. Les activités agropastorales qui étaient à la base de la vie d’antan se sont réduites au point que les fonctions principales des Sociétés du Village ont disparu. Pour survivre ces sociétés ont progressivement adapté leur organisation, leur fonctionnement et leurs statuts. Finies la garde commune des bêtes ou la gestion du four banal et de la boucherie. Terminés la gestion de l’école et le prêt d’argent aux villageois. Même les conditions requises pour devenir membre ont dû être modifiées. C’est probablement sur ce dernier point que la transformation a été la plus graduelle. Si la notion d’un membre par foyer s’est généralement maintenue (en tout cas au moment de voter à l’assemblée générale), les sociétés se sont ouvertes aux femmes, aux non-domiciliés mais propriétaires, aux personnes très attachées au village bien qu’elles n’y habitent plus ou pas… Chaque société ou presque a ses propres exigences, inscrites dans ses statuts. Ce qui apparaît clairement, c’est que pour maintenir un effectif suffisant, il est nécessaire d’assouplir les critères et d’attirer des personnes motivées, dont l’attachement au village est fort. Les sociétés créées en 2008 ont déterminé qui pouvait en devenir membre en fonction de leur propre contexte. Ainsi, la société de Chandolin, avec une petite population résidant à l’année, a ouvert plus largement ses portes que les trois autres.

Nouvelles activités

L’article détaillant les buts de la Société du Village de Vissoie est représentatif de l’esprit qui motive aujourd’hui l’ensemble de celles de la vallée :  « La Société du Village de Vissoie a pour but de réunir tous ses habitants…autour d’un projet commun, à savoir renforcer les liens sociaux, défendre les intérêts légitimes du village, mettre en valeur et entretenir les édifices et de manière générale promouvoir tout ce qui est de nature à animer, embellir et faire connaître le village. » Il est loin le temps (1925) où la Société de Mission inscrivait dans son article 2 : « (elle) a pour but de sauvegarder et de favoriser les intérêts d’ordre moral et économique, elle s’efforcera à faire unir dans une association homogène tous les habitants reconnus villageois ».

En 2020, les Sociétés du Village interviennent presque toutes dans l’organisation de fêtes religieuses, généralement la fête patronale (qui dans les petits villages est souvent la grande fête de l’année) et la Fête-Dieu. Elles s’occupent aussi de l’entretien du patrimoine qui est le leur, à savoir four banal, boucherie, moulin, oratoire, raccard ou autres. Certaines d’entre elles décorent les villages pour les fêtes de fin d’année, offrent le vin chaud à Nouvel An, font du pain au four banal, ou des pizzas, mettent sur pied des soirées à thèmes, etc. Heureusement la plupart des Sociétés du Village ont la possibilité et le plaisir de collaborer avec d’autres sociétés dans leur engagement : avec les paroisses, les bourgeoisies, la commune, les sociétés de développement et d’autres sociétés villageoises. À St-Luc et Grimentz pour le moins, une rencontre entre les divers protagonistes est organisée chaque année. 

Esprit de corps

La nécessité d’unir ses forces pour avancer est l’idée qui sous-tend l’existence des Sociétés du Village dès leurs débuts. Cet esprit est demeuré intact, malgré l’évolution, et anime aujourd’hui encore les Sociétés et leurs chefs. Beaucoup de travaux de maintenance ou de restauration se réalisent sous forme de corvées, appellation héritée du passé et encore fort usitée dans nos contrées. Cela limite les coûts et rapproche les participants. Une excellente manière de consolider les liens de la communauté villageoise et de conserver ce qui a été reçu des anciens avant de le transmettre à la postérité.

Ce bref éclairage jeté sur les Sociétés du Village d’aujourd’hui montre qu’elles ont encore une belle place à tenir en Anniviers. Elles ont su se réinventer malgré les changements incessants de notre monde et peuvent servir de point d’ancrage aux nouvelles générations. Garantes du lien entre passé et présent, elles mériteraient une étude historique approfondie qui permettrait que soit mise en lumière l’histoire des gens d’avant.

Texte Janine Barmaz, photos albums privés

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