Texte rédigé par Régis Theytaz, extrait du Parcours Historique de Mottec
Devant l'ancien café de Mottec vers 1925
Remuage et école en Anniviers
Jusqu’au début du 20ème siècle, les Anniviards vivaient essentiellement des produits de la terre et de l’élevage. Ils se déplaçaient de la montagne à la plaine, selon les différents travaux saisonniers à effectuer. Le calendrier des familles comportait plusieurs déplacements, appelés « remuages », au fil de l’année. En décembre, des familles montaient à Zinal pour permettre au bétail de consommer sur place le foin coupé en été. En mars, on descendait d’Ayer à Sierre pour les travaux de la vigne et du jardinage. En juin, on montait le bétail d’abord à Zinal, puis aux alpages. En juillet, des familles remontaient pour les foins, tandis qu’en octobre, elles descendaient de Zinal et d’Ayer pour les vendanges.
Régis Theytaz a fréquenté la dernière école nomade qui se déplaçait entre Zinal, Ayer et Sierre. Sa mère a été la dernière enseignante à avoir des classes à Sierre et à Zinal, lorsque le système du remuage s’est arrêté en 1955.
L’occasion est idéale pour remonter le fil de la mémoire avec Régis. Laissons-nous guider.
Ma famille
Je suis né le 22 mars 1939 de Theytaz Florentin et de Marguerite née Vianin à Ayer. Ma naissance a eu lieu à la maison, assistée par la sage-femme.
Avant d’expliquer le remuage je dois décrire ma famille au complet. Pour pouvoir pratiquer le remuage, une famille devait se composer d’au moins quatre personnes.
J’ai une sœur, Monique, de deux ans mon ainée. Mon père était guide de montagne pendant l’été et agriculteur le reste de l’année. Ma mère était institutrice et aidait son mari à la campagne comme toutes les femmes de ce temps-là. Mes deux grands-pères étaient guides également.
Mes grands-pères et mon père gagnaient un peu grâce à leur métier de guide. Dès qu’ils avaient de l’argent, ils achetaient des vignes à Sierre, des terrains au village d’Ayer et des mayens dans tous les coins de la vallée.
Lorsque la guerre de 1939 éclate, mon père, en tant que soldat guide est appelé pour couvrir la frontière. Le 18 septembre 1940, il est dans la région de la Cabane du Trient. Au cours d’un exercice commandé par le 1er lieutenant Rodolphe Tissières, près des Ecandies, une avalanche emporte plusieurs cordées, fait beaucoup de blessés et provoque la mort de mon père et de son compagnon de cordée, originaire des Grisons. Suite à ce drame, ma mère retourne avec ses deux enfants dans le foyer de ses parents. Mon grand-père, Elie Vianin, devient ainsi mon père. C’est avec lui que je vais apprendre tous les rouages de la vie de paysan et de la vie tout court.
Mon grand-père
Mon grand-père avait 68 ans, lorsque je suis né. Quand j’ai commencé l’école, il en avait 75. Nous avons fait la transhumance jusqu’à mes douze ans. Mon grand-père meurt à l’âge de 92 ans sans avoir fait un seul jour d’hôpital.
Un jour, lorsque j’avais 18 ans et mon grand-père 86, nous étions aux vendanges. Mon grand-père qui toute la journée portait la brante avec 60 kg, me dit : « Régis, tu commences et moi je finis ma vie, c’est donc moi qui porte. » « Merci grand-papa. Tu as été mon papa. »
Le remuage au fil de l’année
1er novembre. Nous « accréchons » les vaches, nous les mettons à leur place à l’écurie. Mes grands-parents gouvernent, car c’est aussi le moment des vêlages. Je vous parle en premier des vaches, parce que ce sont elles qui déterminent le remuage. Maman s’occupe de la maison.
Ma sœur et moi allons à l’école. Ma sœur dans la classe des filles avec la régente Hermine et moi dans celle des garçons avec mon oncle Pierre. Les régents sont les titulaires officiels des deux classes d’Ayer qui incluent bien sûr toutes les divisions de 7 à 15 ans. Souvent les plus grands apprennent à lire aux plus petits. Ma mère étant plus jeune que la régente Hermine, est institutrice uniquement quand les Anniviards montent à Zinal ou descendent à Sierre. L’année scolaire commence le 1er novembre et se termine le 30 avril. Ces six mois d’école sont stricts. Nous allons à l’école les lendemains de Noël et de Pâques. Les instituteurs sont salariés pour les six mois d’école et exercent un autre métier le reste de l’année.
15 novembre. Le 1er remuage a lieu à Mottec où nous possédons un chalet et avons accumulé les foins de l’été. Mes grands-parents s’y rendent avec les vaches, les chèvres et les moutons. Les derniers vêlages ont lieu ici.
15 décembre. La montée se poursuit sur Zinal avec les vaches et tout ce qui peut marcher. Alors c’est le grand remuage. Maman quitte Ayer pour Zinal. Le mulet tire un traîneau avec les provisions, le pain de seigle pour un mois et tous ceux qui ne marchent pas : les poules, les lapins et le petit cochon que nous avons acheté à la Foire de Ste-Catherine.
Nous restons à Zinal un mois. La classe des garçons avec le régent Pierre, mon oncle, se déplace aussi. C’est à ce moment que ma mère enseigne aux filles des gens de la vallée, car la classe de la régente Hermine continue pour les élèves qui ne font pas la transhumance. Plus tard il n’y aura plus qu’une classe mixte qui fonctionnera à Zinal.
Les élèves viennent à pied de Mottec, Pralong, Bouillet et Zinal. Ils doivent apporter chacun une buche pour chauffer la salle de classe.
Durant cette période, si le temps le permet, le facteur fait la distribution du journal, des lettres et des colis qui ne sont pas trop lourds.
La journée, grand-papa coupe du bois pour chauffer le pierre ollaire, grand-maman file la laine des moutons, tandis que ma sœur et moi nous sommes à l’école.
15 janvier. Se dessine le retour à Ayer, le village principal, avec le même programme que pour la montée à Zinal. Nous partons en laissant un peu de foin en cas de coup dur, comme une avalanche à Pralong qui pourrait retarder d’un ou deux jours le passage du troupeau et de la luge du mulet. Nous avons une chatte qui sent arriver le moment du départ et se cache le jour X. Nous ne pouvons pas l’emmener avec nous, mais après une semaine elle nous rejoint à Ayer et de même lorsque nous montons à Zinal.
Toute la famille est réunie à Ayer. Nous remuons les vaches d’étable en étable afin qu’elles y mangent le foin. En ce temps-là, nous n’avions pas de moyens pour entreposer le foin dans une grande grange comme aujourd’hui.
1er mars. Voilà que la famille se sépare en deux. Maman enseigne à Sierre à tous les enfants de la vallée, excepté ceux de St-Luc et Chandolin. Grand-papa travaille la vigne. Ma sœur va à l’école avec maman. Je reste à Ayer avec grand-maman pour l’aider à l’écurie, au cochon, aux poules et aux lapins à la maison.
Fin avril. La famille se retrouve au complet à Ayer et se sépare régulièrement 3 à 4 jours pour continuer le travail des vignes.
1er juin. Avec mes grands-parents nous montons dans un mayen à Barneuza. Nous prenons avec nous les vaches, les chèvres et les moutons. Nous y allons pour pâturer, faire les tommes et préparer les vaches pour l’alpage. Maman et Monique restent à Ayer pour les autres bêtes, c'est-à-dire le cochon, les poules, les lapins et la chatte.
20 juin. Les vaches sont alpées et toute la famille se retrouve au complet à Ayer pour commencer les foins. Voilà le plus grand travail de l’année. Pendant un mois nous remplissons toutes les granges. Le foin est fauché à la main et transporté sur le dos.
Fin juillet. Nous continuons les foins à Mottec.
1er août. Nous sommes à Zinal.
Vers le 15 août. Nous redescendons à Ayer et attaquons les regains qui durent jusqu’au 15 septembre.
20 septembre. A peine 5 jours de pause et s’annonce la désalpe des vaches. Là nous récupérons le fromage, le sérac et le beurre. Le beurre, fondu avec le lard du cochon que nous tuerons en novembre, nous servira pour cuisiner toute l’année.
Le jour de la désalpe de Nava à Ayer, nous remontons à Zinal avec les vaches, les chèvres et les moutons pour pâturer les prés. Puis nous redescendons à Mottec et, enfin, à Ayer.
Octobre. Arrivent les vendanges et de nouveau la famille se coupe en deux. Grand-papa, maman et Monique vont aux vendanges. Grand-maman et moi, nous nous occupons des vaches et de tout le reste à Ayer. Grand-papa fait son vin à la cave à Sierre qui sera monté à Ayer en mars et donnera l’occasion d’une fête avec les voisins.
Novembre. Nous revoici tous à Ayer. Grand-papa est le boucher du village. Il tue le cochon et une génisse qui nous donneront la viande pour une année.
La boucle est bouclée.
Régis Theytaz
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