Bisses - Les routes de l'eau

Bisses - Les routes de l'eau

Dernière mise à jour le par Adriana Tenda Claude

Article rédigé par Dominique Epiney Regolatti pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

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         Bisse de Vercorin                                         Bisse des Sarrasins (Pinsec-Vercorin)

Comment sillonner le Val d’Anniviers sans deviner les tracés tortueux des bisses, ces rigoles qui captent l’eau des glaciers, dégringolent joyeusement les alpages et les prairies, traversent les villages et bondissent au creux des gorges profondes avant de se disperser tranquillement au fond de la vallée. Le chant de l’eau qui ruisselle apaise et rafraîchit l’esprit. Royalement élaborés, ces tranchées de pierre, de bois ou creusées à même la terre assurent la vie là où la survie aurait été difficile.

Le Valais détient près de 300 bisses qui traversent plus de 2000 kilomètres. Certains d’entre eux ont été rénovés et sont méticuleusement entretenus. Depuis des millénaires, la vie repose sur ce réseau de canaux historiques fort complexe. A ce jour, le dossier des bisses valaisans est déposé auprès de l’UNESCO pour y être inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, en principe dès 2017.

LA HAUTE ROUTE DES BISSES

Pour survivre au cœur d’une nature grandiose ourlant la Couronne Impériale au Val d’Anniviers, nos ancêtres ont su, depuis la nuit des temps, tirer profit du moindre petit lopin de terre en exploitant judicieusement les ressources de leur terroir. Les rayons du soleil sèchent cette terre des Alpes au relief escarpé, et lutter pour s’approprier l'eau n’a pas été facile.

Système d’irrigation original aux tracés subtils et acrobatiques, les bisses s’agrippent aux moindres aspérités du terrain. Imaginés et sculptés grâce à la ténacité et au courage des montagnards, souvent au péril de leur vie, ces petits ruisseaux suivent les pentes abruptes de nos montagnes pour permettre l’exploitation des territoires d’altitude et les transformer en de fertiles pâturages nourriciers pour le bétail. Ce précieux liquide ruisselle vers les villages et s’écoule ensuite au fond de la vallée avant d’atteindre les terres agricoles de la plaine pour y déposer de fertiles limons.

Construits et utilisés en consortage d’irrigation, des procureurs assurent l’entretien des bisses, assistés par des consorts responsables de répartir les eaux d’arrosage entre les familles. Au printemps, avant la mise en eau, la «journée du bisse» réunit tous les agriculteurs pour exécuter les corvées de fin d’hiver et organiser des tournus d’arrosage pendant la journée, selon un calendrier et un règlement d’utilisation rigoureux. Il était en principe interdit d’arroser la nuit et les dimanches, sauf dérogation spéciale (sécheresse, etc.) obtenue de M. le Curé de la Paroisse ou par les autorités villageoises. Un filet d’eau coulait en permanence dans les bisses et à la fin de l’été l’eau était stoppée à sa source pour éviter les dégâts dus au gel.

Deux outils étaient utilisés pour effectuer les travaux d’entretien des bisses. Une plaque de métal avec un manche, nommée lo tornio en patois anniviard, servait à arrêter l’eau pour la diriger ailleurs. La sape, mi-pioche mi-hache, formée d’une large pièce de métal est utilisée pour désobstruer la tranchée et découper des mottes de terres en cubes (blètt en patois). Elle sert à dresser de petits barrages pour dériver l’eau vers un autre petit canal et abreuver un coin de terre. En fait, la pioche date de l’âge du fer et est l’un des plus vieux outils du monde.

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Madeleine Revey-Martin - Nettoyage du bisse, la Granzètt, Mayoux, 1981

Parfois étroits ou larges, formés de passages souterrains ou aériens, secs ou en eau, les bisses filent et dévalent les pentes par paliers, de façon spectaculaire. Sur les parois rocheuses à forte dénivellation, les créateurs de bisses ont foré de profonds trous pour fixer les solives qui supportent de lourds chenaux de mélèze. Ce bois précieux, fortement imbibé de résine, est résistant aux chocs, aux sécheresses, aux intempéries et est imputrescible, tout comme le bois de teck qui pousse dans les pays tropicaux et qui est utilisé pour construire des bateaux, entre autres. La mousse végétale servait d’étoupe pour colmater les fuites d’eau des canaux, elle était aussi utilisée comme isolation pour lier les madriers qui formaient les parois des chalets de nos villages.

La vie dans nos montagnes n’aurait probablement pas été possible sans un système d’irrigation efficace et de qualité. Avec le déclin de l’agriculture dans les années 1960, les bisses qui irriguaient les champs de céréales et les prés ont été laissés à l’abandon. Actuellement la plupart d’entre eux sont remis en état et entretenus car, à part le fait qu’ils offrent de belles possibilités de randonnées que tout un chacun peut suivre à son rythme, ils mettent en valeur les aspects traditionnels et historiques qui enrichissent et préservent notre héritage culturel vivant.  

 

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Bisse des Sarrasins en rénovation, Anniviers 2009

 

«Demande le lait à ta chamelle, un fils à ta femme, mais demande l’Eau à Dieu seul».

Proverbe de la Tribu des Touareg Kel Agala du Sahara

L’EAU VIVE DES SOURCES

Elle est souvent là, sous terre, inaudible, invisible, elle coule lentement sous nos pieds sans que nous n’y prenions garde. Dans les pays arides, des rivières souterraines circulent à l'abri du soleil pour désaltérer la nature, les hommes et les bêtes, donner la vie.

Dans l’Oasis d'El-Goléa au cœur du Sahara algérien, j’ai pu observer un système d’irrigation intéressant nommé foggara et descendre au fond de l’un de ses puits (profondeur 5-20 m) creusé dans le massif de dunes pour inspecter une source souterraine et son réseau de galeries verticales. En Algérie, ce système est déjà reconnu patrimoine hydraulique mondial.

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Foggara, 0asis d’El Goléa, sahara algérien 1985

Les foggara constituent le plus ancien dispositif en usage au Sahara pour diriger l’eau jusqu’aux palmeraies. Captée en amont d’une nappe aquifère, l’eau dégouline le long d’une faible pente à l’intérieur d’une galerie souterraine à l’abri du soleil et est aérée et protégée de l’évaporation. Le liquide chemine ainsi sur plusieurs kilomètres avant de déboucher à l’air libre pour se déverser dans les sequia (canaux d’irrigation des oasis). Ici, l’eau des sables est reine, les enfants ivres de joie s’éclaboussent en tirant des ricochets et sautillent de joie. Ces tranchées exigent un entretien régulier pour éviter la dégradation des canaux et la pollution de l’eau. Là, on comble les fissures avec de l’argile. Ces constructions sont astucieuses, des puits creusés tous les 4-5 mètres ouvrent l’accès aux ouvriers qui descendent au cœur du désert nettoyer et entretenir la galerie.

Connues des Perses, des Assyriens et des Egyptiens depuis plus de 3000 ans, ces techniques hydrauliques se sont répandues de l'Est vers l'Ouest, spécialement en Afrique du Nord. Plusieurs noms les désignent : foggara en Algérie, qanat en Iran, kettara au Maroc, faladj dans le Sultanat d’Oman. En Afghanistan, en Inde et en Chine de telles canalisations existent aussi et les populations locales dépendent principalement des ressources en eau captées de cette manière.

En Iran, le problème de l’approvisionnement en eau se pose depuis une époque très ancienne au vu de la configuration hydrométrique réduite dans ce pays. Dans le Dasht-e-Kavir en particulier, la population de ce grand désert salé survit grâce à l’antique système des qanat toujours en usage à ce jour. Le nom qanat est aussi utilisé en Italie mais exclusivement à Palerme en Sicile et ce, depuis l'occupation des Maures vers l’an 535.

Près d’Erfoud au Maroc, on peut visiter d’immenses cratères de kettara qui permettent de puiser l’eau à plus de 25 mètres sous terre.

A Oman dans la Péninsule Arabique, presque 70 % de l’eau est distribuée par ce biais et les récoltes dépendent à 55 % des faladj. Parfois ces réseaux séculaires répartissent le flux d’une source entre plus de 350 canaux, comme une toile d’araignée. Le captage des eaux souterraines étant spécialement compliqué et dangereux, ce sont des sourciers, des personnes douées pour détecter les nappes phréatiques parfois à plus de 50 m de profondeur, qui sont chargés de ce travail.

BISSES, FOGGARA, QANAT, KETTARA, FALADJ…

Ces noms aux consonances cristallines sont nos ressources de vie, peu importe leur appellation et d’où elles viennent, n’oublions pas de les respecter, surtout les eaux souterraines car elles sont limitées et ne supportent pas la pollution liée à l’activité humaine.

Texte et photos © Dominique Epiney Regolatti, Saint-Jean, mai 2016

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