Ferronnier d'art - Martial Viaccoz

Ferronnier d'art - Martial Viaccoz

Dernière mise à jour le par Adriana Tenda Claude

Article rédigé par Pauline Archambault pour "Les 4 Saisons d'Anniviers"

 

L'atelier de Martial.jpgLa clé de conte de fée forgée par Martial 1.jpg

Atelier de Martial Viaccoz

 

La disparition des anciens métiers d’Anniviers- partie 1 : ferronnier d’art

L’atelier de Martial Viaccoz ressemble à un poème dadaïste mélangé à une gravure argentée du XIXème siècle. Au fond, cachés au milieu d’une forêt d’outils et d’indéfinissables trésors, on distingue une forge ancestrale, une enclume polie par des années de labeur et un grand seau de houille. Sur le mur de l’entrée, des blagues sont accrochées au gros scotch jaune.

Martial sait tout faire : il est à la fois serrurier, forgeron, soudeur et ferronnier d’art. Il fabrique les portes des fourneaux, les pics et les pioches pour la commune, les coupes du championnat suisse de hockey, les garnitures pour les grilles de fenêtre, les chandeliers, les barrières, les pieds de table à l’ancienne, les escaliers ou les arrête-neige pour les toits. Quand Rémy et Noël d’Ayer fabriquaient encore des bardeaux, Martial réalisait jusqu’à cent arrête-neige par jour, tout à la main. « T’as une minute ? Si tu as envie, je t’en fais un ? ». Il prend une barre de métal, la tape, la tord, l’arrondit comme si c’était de la guimauve, l’enroule autour d’un gabarit comme un serpent puis la frappe à l’enclume. Le son aigu du marteau sur le métal vrille les oreilles et résonne longtemps comme un bol chantant tibétain. Le serpent devient plat, parfaitement ajusté. Martial transforme le métal avec tellement d’aisance.

Martial a même recréé les clés des vieux moulins de St Luc : « toutes les clés avaient été perdues ! J’ai dû aller ouvrir les portes des moulins… j’ai réussi à démonter les charnières et les serrures. Mais on n’arrive pas à faire de si petites clés à la forge. Alors j’ai été obligé de trafiquer des clés en les limant pour faire des passes. Plus personne ne sait faire ça. Avant de venir vers moi, ils ont demandé à ceux qui font des clés à Sierre, mais ceux-ci ont refusé. Je pourrais apprendre ça aux jeunes, mais je vais me faire traiter de voleur ! ». Martial referme le tiroir des passes et rigole.

 

Mais là où son œil s’illumine le plus, c’est quand il parle du métier de forgeron. Il court chercher des photos de ses créations en fer forgé pour me les montrer. Il y a trente ans, il a fabriqué pour le plaisir une table basse de salon en forme de char, qui peut tourner les roues et pivoter. Pour les 60 ans d’un ami, il a inventé un porte-bouteilles en forme de luge Davos miniature. Il a même réalisé des écritures entièrement à la forge pour la vache Frégate, la reine cantonale. Les lettres en fer sont liées, régulières et harmonieuses : une vraie prouesse d’arriver à ça à coups de marteau sur une enclume ! Il a aussi minutieusement assemblé un cadre de fenêtre décoratif représentant deux vaches en train de combattre. Ou inventé une lampe avec un ski et un piolet en fer forgé pour offrir à un ami guide. Martial a du génie. Il invente, il essaie. Parfois il est mécontent, s’arrête, réfléchis toute la nuit, trouve une nouvelle idée, puis reprend sa création. Ce qu’il préfère dans la forge, c’est justement qu’il peut inventer des pièces originales et uniques : «en serrurerie, tu achètes les pièces, tu coupes les plaques, tu perces et tu soudes... c’est souvent de la série…. Pour le fer forgé, tu dois réfléchir, tu prends une morceau de fer et tu dois lui donner une forme, rond ou  pointu.». D’ailleurs, le verbe « forger » signifie aussi à l’origine « créer », « imaginer » et « inventer ». La ferronnerie d’art exige de sentir la matière pour la transformer, de comprendre comment le fer va réagir, comment il va se déformer dans l’incandescence, se tordre ou s’aplatir entre l’enclume et le marteau. Martial a acheté une antique forge portative à pédale, mobile et légère. Il l’actionne : «tu pédales et ça souffle. C’est joli, tu peux l’emmener partout, c’est artisanal. ». Au cœur de l’hiver, quand le froid pique, il allume son fourneau et active sa forge.

Il furète dans l’atelier et me découvre un à un ses trésors. Il sort d’un tiroir une immense clé, une clé de conte de fée en fer forgé. Les encoches irrégulières témoignent de la difficulté à dompter le métal à la main. « C’est une clé de cave pour un caveau à Noës, je viens de la finir. C’était compliqué, mais elle est belle ! Pour forger une clé comme ça, il faut au moins cinq heures. Il faut forger la boucle de la clé, puis découper pièce par pièce et faire les encoches avec la lime et la meule. Alors ça revient cher. » La création artisanale peine à concurrencer la production industrielle, car la prix de chaque objet fabriqué à la main est très élevé. « Un montant de barrière coûte le double si tu dois le fabriquer plutôt que de l’acheter tout fait: il faut chauffer la barre de métal à la forge, la torsader, la fendre au ciseau…. Et une barrière, c’est une trentaine de montants ! Souvent des gens veulent une barrière en fer forgé et quand on leur dit le prix, ils renoncent, sauf s’ils sont prêts à payer pour de l’artisanat, pour une création originale et unique. ». Les artisans sont en voie de disparition, remplacés par des machines qui produisent plus vite et moins cher. Comme le dit Martial avec un petit sourire, « si tu dois tout faire à la forge, tu dois faire le prix. Sinon, tu travailles comme les guides, dans le vide. Les gens ne veulent plus que de l’inox, c’est propre et joli». Beaucoup de métiers du métal sont menacés de disparition, et pas seulement les forgerons et les ferronniers d’art. Les fondeurs de cloches, les couteliers, les graveurs, les doreurs, les potiers d’étain, les sculpteurs sur métal, les enlumineurs sont aussi de plus en plus rares. Et c’est la même chose pour les métiers du bois (bardotier, marqueteur, sabotier, encadreur, tonnelier, fabricant de cannes), pour ceux du cuir (bottier, gantier, sellier, cordonnier), pour ceux du verre (souffleur de verre, vitrailliste), du textile (brodeur, dentellier, restaurateur de tapis) ou de la pierre (tailleur de pierre, sculpteur, marbrier, fontainier). Tous ces magnifiques métiers n’existent quasiment plus. De quoi donner des idées aux jeunes de la vallée !

Martial a beaucoup de travail, à tel point qu’il doit en refuser. L’un vient lui demander une petite soudure, l’autre a besoin d’une réparation, un troisième rêve d’une belle barrière en fer forgé. Un jeune qui s’installerait comme serrurier-ferronnier dans la vallée aurait largement de quoi gagner sa vie, même s’il faut beaucoup investir dans les outils pour pouvoir se lancer. Selon Martial, il serait même possible de vivre en faisant uniquement de la création en fer forgé, car, comme il le dit, « ça part comme du sucre ! ». Pourtant, les jeunes ne sont pas intéressés. Il reste quelques travailleurs du métal en Anniviers : à Ayer, Jean-Paul Theytaz est forgeron et serrurier. Daniel Salamin à Mayoux et Martial Crettaz au Rotzec sont aussi serruriers. Mais tous sont à la retraite et aucun jeune n’a pris la relève de la forge. Il y a de jeunes serruriers, mais quasiment plus de forgerons. Les jeunes disent qu’ils n’arrivent pas à forger. Martial est à son compte depuis 38 ans, mais personne ne lui a jamais demandé de lui apprendre le métier. Il montre pourtant volontiers ses secrets à ceux qui s’y intéressent. Il se rend bien compte que ce sont des connaissances qui vont se perdre. Il a 70 ans et son incroyable savoir-faire risque de ne pas pouvoir être transmis. Qui pourra fabriquer une clé perdue à partir d’une serrure ? Qui inventera de beaux objets en fer forgé ? Qui tordra le métal pour fabriquer les arrête-neige des toits d’Anniviers ? Qui fera souffler la forge en hiver et retentir le bruit du marteau sur l’enclume ?

 

Martial a commencé l’apprentissage de serrurier à 16 ans, en 1967. Il a ensuite appris le métier de la forge en travaillant. Un vieux forgeron lui a transmis les secrets de la trempe et l’a initié aux subtilités de la lime, comme lorsqu’il faut trouver le geste juste pour ne pas que la pièce se brise. « Gamin, mon père avait un mulet, alors on allait voir ferrer les mulets. Le maréchal-ferrant qui s’en occupait savait tout souder à la forge, il chauffait les pièces, les tapait et les soudait au feu. C’était magnifique. Il faisait comme ça même les grilles principales d’entrée des chapelles. A l’époque, les postes à souder n’existaient pas.  Cette technique n’existe plus, je ne l’ai pas apprise, j’ai juste vu faire gamin. En serrurerie, la technique a beaucoup changé, mais pas du tout avec la forge. » Les premiers forgerons sont apparus 1000 ans avant Jésus-Christ. C’est l’un des plus vieux métiers du monde. Le travail du fer est encore plus ancien : on a retrouvé en Egypte des perles fabriquées à partir de fer extrait de météorites et datant de 5000 ans. La découverte des métaux a fait sortir l’homme de l’âge de pierre, puis la forge a été une révolution. Grâce à elle, les peuples ont pu inventer de nouveaux outils, développer l’agriculture en fabricant des faux, des haches et des charrues, créer des roues de charrette, des armes, des parties mécaniques, des bijoux, ou même frapper de la monnaie. Aujourd’hui encore, dans de nombreux pays, les forgerons travaillent le fer en le chauffant sur des brasiers posés à même le sol, sans autre forge que ces petits feux de bois. Va-t-on oublier comment pratiquer ce métier si précieux, si universel et si ancien ?

par Pauline Archambault

 

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